Vue de Delft (Johannes Vermeer)
Le plus beau tableau du Monde ?
C'est pas moi qui le dis, c'est notre grand Proust! Vue de Delft est certes un merveilleux tableau et Proust un grand critique d'art... mais pourquoi le qualifier de plus beau tableau du Monde ; on sent bien que l'expression a quelque chose d'incongru, voire d'absurde : il y a tellement de tableaux pour lesquels on pourrait employer cette même expression.
Prenons la peine de le considérer attentivement, objectivement si cela est possible : que voit-on ?
D'abord, un premier plan plutôt neutre, très bien peint mais finalement assez banal. Une grève jaune avec des petits personnages assez indistincts, et puis l'eau, très finement rendue : espace de transition calme. Au-dessus, un «grand» ciel avec ce nuage noir tout en haut du tableau qui veut nous faire abaisser notre regard vers la ville !
Puis la ville, Delft, présentée frontalement, massive, repoussée au second plan ; rien à voir avec certains tableaux de Canaletto dans lesquels Venise est toute ouverte par son grand canal. Là, rien de tel, la ville a quelque chose de fermé, d'impénétrable, bien que l'on distingue de «discrets» points d'entrée (le pont et les deux portes qui encadrent le pont : la Porte de Schiedam à gauche, la Porte de Rotterdam à droite) !
Et c'est là que notre cher Marcel Proust entrevoit, au dernier plan, ce petit pan de mur jaune qu'il admire tant !
En fait, le petit pan de mur jaune fait partie d'un ensemble d'éléments éclairés d'une vive lumière présentés au dernier plan du milieu au côté droit du tableau, principalement des toits et le clocher de l'église.
Arrivé à ce point de la description, on peut gloser sur ses qualités picturales, beaucoup y ont vu avec raison, je crois, dans le traitement de l'eau et des différentes bâtisses de la ville, les prémices de l'impressionnisme. Mais je pense que son intérêt est ailleurs et je risque mon interprétation ! Que nous dit donc Vermeer par ce tableau qui, à juste titre, a tant impressionné Marcel Proust : je pense qu'il nous dit que la Beauté (le petit pan de mur jaune et les toits éclairés dans le fond) n'est pas immédiatement accessible. On l'entrevoit dans le lointain mais il faut faire un long chemin (la grève, l'eau, la ville fermée) avant d'y accéder ! Un chef d'œuvre ne se laisse pas «pénétrer» et comprendre si facilement.
