lundi 20 mai 2024

À propos de l'émission 
Connexions Hopper x Vermeer sur France 5
 
Je trouve assez peu pertinent de faire un rapprochement entre ces 2 peintres par le biais de «femmes lisant une lettre ou un livre».

Chez Vermeer, on est dans le dedans du dedans, l’intime, comme dit Daniel Arasse alors que chez Hopper ces femmes lisant n’expriment qu’une immense solitude, comme d’ailleurs les autres personnages de ses tableaux.

Ne voir dans les tableaux de Hopper que la représentation d’un moment de vie, le rapproche de la peinture réaliste du milieu XIXe (Courbet). Certes on ne peut pas nier que ses tableaux dépeignent une certaine Amérique, mais je trouve très dommage de ne s’en tenir qu’au Signifié.

Quand je regarde un tableau de Hopper, je suis bien sûr touché par la solitude, la désolation… qu’il exprime et le rapprochement avec les images désolées des villes vides pendant la pandémie me semble assez bien « vu » (voir plus bas). Mais je suis surtout intéressé par sa représentation de l’espace : il gomme les détails (héritage de Van Gogh) mais garde des pans de lumière (comme les impressionnistes) en utilisant des aplats de couleur de forme rectangulaire, carré, triangulaire, avec peu de courbes à part les personnages, ce qui le rapproche selon moi de l’abstraction géométrique (Mondrian, Malévitch…).
 
Donc présenter Hopper comme un peintre de moments de vie, d’« anecdotes » tend à le rétrograder alors qu’il est un pionnier de la peinture américaine du XXe siècle.
 
Il est très à la mode de comparer et d’accrocher côte à côte dans les musées des peintres de siècles différents, en focalisant sur un aspect du tableau pour soi-disant guider le spectateur, mais, de fait, en le détournant de la nécessaire étude du tableau pour ce qu’il est !
 

 












mercredi 25 octobre 2023

La pittura è cosa mentale !

Denis me demande pourquoi avoir choisi l’expression « La pittura è cosa mentale ».

En fait, à partir du moment ou l’on décide de faire un tableau, d’innombrables questions se posent à tous les stades de l'élaboration, des questions techniques bien sûr, mais pas que !

D’abord, quoi peindre ? On va répondre instinctivement, bé quelque chose d'intéressant, de beau tant qu'à faire, sauf que tout est beau, ça dépend de comment on regarde ; «Pour qu'une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » (Gustave Flaubert). 

Donc retour à l’envoyeur, qu’est-ce qu’on peint ? 

Un très beau bouquet de fleurs, un paysage pittoresque, quelque chose de remarquable… Alors là, attention danger, parce qu’au final, on ne voit que le bouquet, le beau paysage mais plus la peinture, ou l’« être pictural » (un peu pompeux mais je n’ai pas trouvé mieux).

Pareil pour la technique employée : l’aquarelle par exemple ; très fortement connotée. Je me trompe peut-être, mais elle sous-entend peinture délicate, féminine, plutôt de petit format… bien sûr, on oublie Turner et Paul Klee.

Les autres techniques (huile, pastel…) sont tout aussi connotées et promptes à nous faire aussi oublier le tableau, ou si on veut les « idées » qui sous-tendent le dit tableau !

Ensuite le format, c’est important le format, tellement important que c’est une bonne raison, peut-être la seule en définitive, pour aller au musée se rendre compte. Perso, j’ai toujours trouvé qu’il est beaucoup plus facile d’étudier un tableau avec une bonne reproduction chez soi dans son fauteuil… mais il y a le format, donc, malgré tout, en route pour le musée avec la horde !

Autre petite remarque concernant le format qui n’améliore pas et même qui fausse sa juste contemplation : beaucoup de tableaux sont reproduits en posters souvent en plus petit mais quelques fois en plus grand. Certaines aquarelles de Paul Klee sont reproduites en beaucoup plus grand pour faire de jolis posters décoratifs… en perdant toute la poésie des dites aquarelles !

Et donc quel format choisir ? un format carré, neutre, un format à l'italienne qui met en valeur les horizontales ou un format à la française qui privilégie les verticales ? le choix influence la signification même du tableau ! Pour ceux que ces questions intéressent, je renvoie au livre de Kandinsky « Point, ligne, plan : pour une grammaire des formes ».

Choisir le format, c'est aussi choisir le cadrage, mais en choisissant le cadrage, on privilégie certains éléments pour en éliminer d'autres. Le problème c'est que ces autres éléments « influencent » la scène choisie. Donc la question est : comment les réintégrer dans la scène sans qu'ils soient présents. Cézanne, je trouve, a particulièrement réussi cela! Quand Cézanne peint la montagne Sainte-Victoire, il s'en fout un peu de la Sainte-Victoire; pour lui c'est juste un point d'appui pour exprimer la Provence, le Tout de la Provence avec ses couleurs, son atmosphère, son air... Maurice Merleau-Ponty explique bien cela dans son article « Le doute de Cézanne »...

À suivre… ou pas !

 

dimanche 23 juillet 2023

Bonjour Monsieur Gauguin !

Gauguin peint ce tableau en 1889 ; Il fait explicitement référence au tableau de Courbet «Bonjour Monsieur Courbet» peint en 1854.

Qu'observe-t-on ? D'abord, Gauguin abandonne la perspective inventée à la Renaissance. Les couleurs assez peu réalistes, sont aussi vives à l'arrière plan qu'au premier plan alors qu'elles devraient être «dégradées» au second plan pour créer l'illusion de la profondeur. La couleur du ciel est du même bleu - bleu foncé - gris que le vêtement de la femme. Le même ocre rouge se retrouve à la fois au premier plan sous les pattes du chien et sous la petite maison à gauche. Cette même petite maison semble étonnamment proche avec son mur jaune brillant. La barrière entre les deux personnages est de la même couleur que le tronc des arbres derrière eux, etc. Ainsi, même si une vague ligne oblique traverse le tableau des pieds de Gauguin jusqu'à la petite maison en donnant une légère illusion de profondeur, on n'a pas un tableau en 3 dimensions mais en 2 dimensions. 



Ensuite, à la différence du tableau de Courbet, on n'a pas le sentiment d'assister à une rencontre ; on voit juste 2 «fantômes» figés, plus ou moins face à face qui ne se saluent pas. Donc, à la différence de la peinture religieuse, mythologique ou historique des siècles précédents, il n'y a pas réellement d'événement, pas réellement de sujet. Absolument antithéâtral, le tableau ne renvoie qu'à lui-même (voir l'excellent livre de Michael Fried, le modernisme de Manet sur l'évolution de la peinture au XIXe siècle), et à ce titre, il préfigure parfaitement les propos de Maurice Denis en 1890 : «se rappeler qu'un tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées».
 
Pour ces raisons rapidement esquissées, ce tableau est important car il annonce clairement le XXe siècle et la modernité. On y pressent le Fauvisme et la peinture abstraite !



mardi 18 juillet 2023



David Hockney

David Hockney peint des prises de courant ;

David Hockney peint des paires de ciseaux ;

David Hockney est un mec gonflé !


 

jeudi 13 juillet 2023

Vue de Delft (Johannes Vermeer) 

Le plus beau tableau du Monde ?

C'est pas moi qui le dis, c'est notre grand Proust! Vue de Delft est certes un merveilleux tableau et Proust un grand critique d'art... mais pourquoi le qualifier de plus beau tableau du Monde ; on sent bien que l'expression a quelque chose d'incongru, voire d'absurde : il y a tellement de tableaux pour lesquels on pourrait employer cette même expression. 

Prenons la peine de le considérer attentivement, objectivement si cela est possible : que voit-on ?

D'abord, un premier plan plutôt neutre, très bien peint mais finalement assez banal. Une grève jaune avec des petits personnages assez indistincts, et puis l'eau, très finement rendue : espace de transition calme. Au-dessus, un «grand» ciel avec ce nuage noir tout en haut du tableau qui veut nous faire abaisser notre regard vers la ville !

Puis la ville, Delft, présentée frontalement, massive, repoussée au second plan ; rien à voir avec certains tableaux de Canaletto dans lesquels Venise est toute ouverte par son grand canal. Là, rien de tel, la ville a quelque chose de fermé, d'impénétrable, bien que l'on distingue de «discrets» points d'entrée (le pont et les deux portes qui encadrent le pont : la Porte de Schiedam à gauche, la Porte de Rotterdam à droite) !

Et c'est là que notre cher Marcel Proust entrevoit, au dernier plan, ce petit pan de mur jaune qu'il admire tant ! 

En fait, le petit pan de mur jaune fait partie d'un ensemble d'éléments éclairés d'une vive lumière présentés au dernier plan du milieu au côté droit du tableau, principalement des toits et le clocher de l'église.

Arrivé à ce point de la description, on peut gloser sur ses qualités picturales, beaucoup y ont vu avec raison, je crois, dans le traitement de l'eau et des différentes bâtisses de la ville, les prémices de l'impressionnisme. Mais je pense que son intérêt est ailleurs et je risque mon interprétation ! Que nous dit donc Vermeer par ce tableau qui, à juste titre, a tant impressionné Marcel Proust : je pense qu'il nous dit que la Beauté (le petit pan de mur jaune et les toits éclairés dans le fond) n'est pas immédiatement accessible. On l'entrevoit dans le lointain mais il faut faire un long chemin (la grève, l'eau, la ville fermée) avant d'y accéder ! Un chef d'œuvre ne se laisse pas «pénétrer» et comprendre si facilement.

 


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